PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE
Les visages de l’épidémie invisible
GUILLAUME TREMBLAY
Les drogues contaminées et les médicaments
contrefaits frappent des Québécois de tous les âges,
de toutes les régions et de tous les milieux.
Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

Lisez notre grand reportage :
Surdoses : L'Épidémie invisible

« Junkie » n’est pas un mot qui vient à l’esprit lorsqu’on rencontre Guillaume Tremblay.

L’homme de 46 ans habite Rosemère, en banlieue de Montréal, avec sa conjointe et ses deux adolescents de 15 ans et de 19 ans.

Au travail, il dirige une équipe de six employés. Son CV est bien garni. Titulaire d’une maîtrise, il a des expériences de travail variées, ayant déjà eu jusqu’à 20 employés sous ses ordres.

Au moment où La Presse l’a rencontré, il s’apprêtait à partir pour un voyage familial au Costa Rica.

Pourtant, la vie de Guillaume Tremblay comporte une « face cachée » marquée par les drogues. C’est moins rare qu’on pourrait le penser. La Presse a pris contact avec des professionnels qui sont aux prises avec des problèmes similaires ou l’ont déjà été. Ils sont généralement très réticents à témoigner à visage découvert, craignant pour leur réputation et leur carrière.

M. Tremblay, lui, a accepté de se livrer. Il faut dire qu’il consacre désormais sa vie professionnelle à combattre les surdoses d’opioïdes.

« Le phénomène des surdoses est complexe. Si je peux aider les gens à en comprendre une facette, tant mieux », lance cet homme affable et sympathique.

Attachez votre tuque. Parce que le parcours de Guillaume Tremblay est étonnamment tortueux. M. Tremblay a fait plusieurs surdoses, certaines ayant nécessité une hospitalisation. Il a fait cinq séjours en prison, souffert de dépression grave et vécu deux ans en situation d’itinérance.

Guillaume Tremblay
PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE
« J’ai des amis qui m’appellent le ressuscité, lance Guillaume Tremblay. Je suis très conscient du mal que j’ai causé à plusieurs personnes. J’ai dû me pardonner là-dedans, mais ce qui est extraordinaire est que tout le monde m’a aussi pardonné – ma famille, mes amis… J’ai eu un soutien très large de mes proches. »
La vie comme un château de cartes

Pendant une bonne partie de cette période trouble, Guillaume Tremblay réussit pourtant à conjuguer sa lourde consommation de drogues avec sa vie familiale et professionnelle.

« C’était comme un château de cartes, illustre-t-il. C’était bancal en ta, mais ça tenait. La consommation affectait toutes les sphères de ma vie : finances, santé, job, famille, relations sociales. »

Cannabis, alcool et PCP (phencyclidine) à l’adolescence. Puis ecstasy, amphétamines (speed), cocaïne, drogues psychédéliques, kétamine, crack, GHB, benzodiazépines : nommez un type de drogue, il y a de bonnes chances que M. Tremblay en ait abusé.

Quand il voit que ses problèmes deviennent trop importants, Guillaume Tremblay utilise ce qu’il appelle la stratégie de la « fuite géographique ». Il part faire une maîtrise en ethnologie à l’île de La Réunion. Fait du travail de terrain en France pour une autre maîtrise en géographie (qu’il ne complétera pas). Décroche un contrat comme conseiller en environnement au Sénégal pour une importante ONG et y déménage la famille.

« Ça fonctionnait d’une certaine manière, ce qui est un couteau à double tranchant. Parce que tu peux te convaincre que ça marche, alors que dans les faits, ça ne règle rien », explique-t-il.

Avec une franchise désarmante, Guillaume Tremblay avoue avoir été « persécuteur et violent », avoir conduit en état d’intoxication, avoir occupé des fonctions au travail alors qu’il n’était pas apte à le faire.

C’est notamment le cas lorsqu’il est coordonnateur clinique en déficience intellectuelle, un poste qui l’amène à être responsable de cinq maisons d’accueil et à superviser vingt employés.

« C’était toujours la même chose, dit-il. Je faisais une thérapie, je décrochais un bon emploi, je retombais. »

Ses proches peinent à comprendre ses comportements.

« Je me faisais toujours dire : coudonc, Guillaume, tu as tout pour réussir ! Tu as des habiletés et des compétences, tu viens d’une bonne famille, tu as un bon travail, une belle famille, des enfants… Qu’est-ce que tu fais ? »

Ne le sachant pas lui-même, il cherche des réponses auprès des professionnels en santé mentale. Mais malgré cela, ses soirées se terminent de plus en plus souvent avec l’intervention de la police, le laissant avec de grands trous de mémoire.

Sa blonde, épuisée par le chaos incessant, le laisse.

« Ça m’a heurté de façon assez violente, raconte-t-il. Alors mes comportements sont devenus encore plus déviants. »

Un soir, il s’introduit dans le domicile d’un inconnu, affirme y être chez lui et brise des choses. Il multiplie les séjours en prison pour méfaits, menaces ou possession de drogue. Il vit deux ans sans domicile fixe. Les surdoses emportent quelques-uns de ses bons amis. Il en fait lui-même plusieurs, notamment provoquées par le GHB ou les mélanges de substances. Il est hospitalisé à plusieurs reprises.

« J’en étais rendu à banaliser le fait d’aller à l’hôpital. Je sortais de là et je voulais ma dope », raconte-t-il.

C’est lors de sa dernière incarcération, en 2016, qu’il décide de se prendre en main.

« J’en avais ras le pompon de ma situation. J’ai décidé d’arrêter de consommer et je suis allé chercher tous les outils possibles en prison », dit-il.

À sa sortie, il fait une quatrième thérapie qui s’avère la bonne. Il reconquiert le cœur de sa blonde et retourne vivre avec ses enfants.

Quand il voit passer un poste de chargé de projets à l’organisme Méta d’Âme, une association qui vient en aide aux gens victimes de dépendance aux opioïdes, il se dit que c’est pour lui. Il est aujourd’hui responsable de former l’ensemble du milieu communautaire québécois à la prévention des surdoses.

« J’ai des amis qui m’appellent le ressuscité, lance Guillaume Tremblay. Je suis très conscient du mal que j’ai causé à plusieurs personnes. J’ai dû me pardonner là-dedans, mais ce qui est extraordinaire est que tout le monde m’a aussi pardonné — ma famille, mes amis… J’ai eu un soutien très large de mes proches. »