Photo fournie par la famille.
Les visages de l’épidémie invisible
Gabriel *
Les drogues contaminées et les médicaments
contrefaits frappent des Québécois de tous les âges,
de toutes les régions et de tous les milieux.
Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

Lisez notre grand reportage :
Surdoses : L'Épidémie invisible

Il disait à sa mère qu’il était Al Capone. Il a séduit sa blonde au téléphone pendant qu’il était en prison. Il jouait du piano comme un dieu et n’avait pas son pareil pour se mettre dans le pétrin.

Gabriel* est mort à 22 ans, d’une surdose de drogues et de médicaments contrefaits.

« Il était intelligent, tellement intelligent. C’est juste qu’il n’a pas utilisé cette intelligence à bon escient », soupire sa mère, Nathalie*.

Assise à la même table de cuisine, dans une maison située en banlieue de Montréal, l’ex-copine de Gabriel acquiesce.

« Tout ce qui est légal, c’est comme si ce n’était pas assez pour lui », dit Audrey*.

Les deux femmes ont accepté de raconter l’histoire de Gabriel à condition qu’on ne puisse l’identifier. Peu de gens savent que le jeune homme est mort d’une surdose — preuve que les tabous entourant les drogues sont encore bien présents.

Nathalie raconte la trop courte vie de son fils en feuilletant des albums de photos. On y voit Gabriel sur les genoux du père Noël. Gabriel qui joue au soccer. Gabriel en uniforme de scout, à la pêche, aux glissades d’eau.

« C’était un bon bébé. Puis un petit garçon facile, plein de joie de vivre », dit sa mère.

En troisième année, Gabriel reçoit un diagnostic de trouble de déficit de l’attention. La fin du primaire est faite de « petits grabuges ». Il égratigne la voiture d’une enseignante avec une clé, met le feu à une cabane dans le bois.

En première secondaire, Gabriel se fait pincer avec un sac d’école rempli de cannabis. « Il avait réussi à savoir qu’il y avait une production dans le sous-sol d’une maison en face de l’école et il est allé la vider », dit sa mère, encore soufflée par le cran de son fils.

Deux semaines plus tard, c’est de la cocaïne qu’on trouve dans son casier. Des diagnostics d’anxiété et de trouble de l’opposition s’ajoutent au tableau. Lorsqu’il est âgé de 14 ans, une intervenante essaie la musicothérapie pour aider Gabriel. Celui-ci se découvre une passion pour le piano classique, mais persiste sur la voie de la délinquance.

Vols par effraction, trafic de drogues, possession d’armes : au début de l’âge adulte, Gabriel alterne entre la prison et le centre de désintoxication.

C’est à cette époque qu’Audrey fait sa connaissance. Elle se trouve chez un ami commun lorsque Gabriel appelle de la prison. Il insiste pour lui parler et passe en mode séduction.

« Même s’il ne m’avait jamais vue, il n’a pas lâché le morceau pendant six mois », raconte Audrey. Si bien que quand Gabriel sort de prison, c’est Audrey qui l’attend dans sa voiture.

« Je le vois arriver. Il envoyait chier les gardiens de prison dans le stationnement, il a fallu que je lui dise d’entrer dans le char. Et là, il m’a regardée avec ses beaux yeux gris — ça a cliqué tout de suite. »

« Il avait son côté charmeur. Il me jouait du piano, il était romantique. Il a tout fait pour m’impressionner et ça a marché », continue Audrey.

Audrey emménage bientôt avec Gabriel. Les bonnes périodes alternent avec les moins bonnes. Audrey soupçonne Gabriel de consommer des drogues, mais il nie et elle n’ose insister.

Gabriel
Photo Martin Chamberland, La Presse
Les deux femmes ont accepté de raconter l’histoire de Gabriel à condition qu’on ne puisse l’identifier. Peu de gens savent que le jeune homme est mort d’une surdose — preuve que les tabous entourant les drogues sont encore bien présents.
« Mourir comme un criminel »

Gabriel est de plus en plus souvent distant. Il s’enferme dans sa chambre d’où, selon sa mère, il exploite alors un réseau de fraude basée sur les cartes de crédit. Quand il s’adresse à Audrey, il déparle comme s’il était ivre. Le couple se sépare, mais continue de cohabiter.

Gabriel retrouve son charisme à l’occasion. Audrey montre une vidéo prise à son anniversaire de 22 ans. On voit le jeune homme dans un bar, debout sur une chaise, en train d’exécuter une espèce de danse des canards sous les rires de ses amis.

Ce sera son dernier anniversaire. Un soir de juin, Audrey rentre à la maison et trouve Gabriel qui ronfle bruyamment sur le sofa. Le lendemain matin, elle découvre le jeune homme avec des vomissures autour de la bouche.

« Je le prends par les épaules et je sens qu’il n’y a plus de vie dans ce corps-là. C’est la première fois que je ressentais ça. Là, tu te mets à crier et tu espères que c’est un gros cauchemar. »

Les analyses du coroner révèlent la consommation de plusieurs drogues et médicaments.

« Il m’a déjà dit : maman, je sais que tu as fait ce que tu as pu. Mais dans ma tête, je suis Al Capone. Je suis un criminel et je vais mourir comme un criminel », confie sa mère.

Audrey, elle, s’en veut de ne pas avoir confronté davantage Gabriel.

« Osez poser des questions, dit-elle, la voix brisée, à ceux qui côtoient des consommateurs. Mettez votre nez dans leur vie. Prouvez-leur que vous êtes tellement là pour eux que vous ne leur donnez pas le choix. »

*Les noms ont été modifiés pour préserver la confidentialité.